
Caden est un adolescent de quinze ans ordinaire, qui s’intéresse à l’athlétisme et aux jeux vidéo. Pourtant, il adopte un comportement de plus en plus étrange aux yeux de ses parents : il marche seul et pieds nus dans les rues, craint que ses camarades de classe ne veuillent le tuer… Dans son esprit, Caden est devenu le passager d’un navire voguant sur des mers déchaînées.
Lorsque cela devient trop difficile pour lui de garder le contact avec la réalité, ses parents doivent l’interner en asile psychiatrique. Commence pour le jeune homme un long voyage qui doit le mener au plus profond des abysses, au risque de s’y noyer…
Auteur : Neal Shusterman
Edition : Nathan
Date de sortie : 30 août 2018
Prix : 16,95 € voir sur Amazon
408 pages
Je remercie les éditions Nathan pour l’envoi de ce roman !
Enfin une description précise et juste de la schizophrénie dans la littérature Young Adult !
L’histoire
Dans ce roman, nous allons suivre Caden dans son combat contre cette maladie qui s’insinue insidieusement dans son esprit. On va alors découvrir sa famille, ses amis, mais aussi ses idées délirantes, son angoisse, et puis son vécu de l’hôpital et des traitements.
Mon avis
Beaucoup penseront de ce livre qu’il s’agit d’un roman étrange et malaisant… En effet, il est aussi décousu que les pensées du personnage principal sont désorganisées. On est en plein cœur du sujet dès les premières pages. Il n’y a pas de construction classique en chapitres comme dans la plupart des romans. Tout comme les pensées de Caden sont particulières, ce roman est singulier. On passe clairement du coq à l’âne c’est-à-dire de pensées délirantes incluant un navire pirate, belle métaphore de la maladie nous plongeant dans l’abîme, à des moments de réalité avec sa famille, ses amis, l’hôpital.
De plus, on va clairement voir Caden décompenser au début du roman. On n’est pas dans des clichés ou des préjugés, mais dans une description fine et exacte de cette maladie mentale. En effet, Neal Shusterman nous parle de son propre vécu en tant que père, mais aussi du ressenti de son fils tout au long de l’histoire. On retrouve absolument toutes les phases de la maladie chez certains patients, du délire aux tendances mégalomaniaques au vécu persécutif en passant par l’illusion des sosies de Capgras (quel bonheur de le voir décrit ici tout simplement par des masques sur les visages de ses proches !), mais aussi une bonne description de l’angoisse majeure ressentie par les patients… Tout est retranscrit avec simplicité et exactitude. On n’emploie pas de termes réservés aux psychiatres, pas de termes sémiologiques, juste une description simple et efficace d’un ressenti, d’idées délirantes, et de beaucoup d’angoisse.
Mais encore…
Evidemment, le roman désorganisé en étonnera plus d’un et il pourrait ne pas plaire. Mais j’applaudis vraiment l’auteur et la maison d’édition d’avoir pris ce risque. C’est l’essence même de cette maladie : la désorganisation. Alors oui, au début, on a du mal à comprendre. Les chapitres de réalité s’intercalent entre des chapitres délirants de pirates en mer. Cependant, au fil du roman, le tout s’entrecroise pour mieux se distinguer par la suite. Ce roman nous offre vraiment une métaphore que j’ai énormément appréciée !
Enfin, via les autres patients de l’hôpital, on va pouvoir explorer d’autres formes de cette maladie, et même parler du risque suicidaire important chez ces patients. Vraiment, mon petit cœur de psychiatre a jubilé tout au long de cette lecture ! D’ailleurs, la famille n’est pas en reste. On va montrer à quel point cette famille est menée à mal devant la décompensation brutale, aidante, mais aussi démunie.
Conclusion
Le goût amer de l’abîme ne pouvait être qu’un coup de cœur pour moi au vu de l’exactitude dans la description de la maladie et cette singularité dans la construction du roman. C’est désorganisé, parfois métaphorique et d’autres fois tellement criant de vérité ! Le délire et la réalité s’entrecroisent, le lecteur ne sachant plus vraiment à quoi s’en tenir non plus, tout comme Caden, qui cherche son chemin hors de l’abîme… On termine cette histoire avec un puissant message d’espoir qui m’a beaucoup plu !
Tu vois des démons dans les yeux du monde et le monde voit un puits sans fond dans les tiens.
N’empêche que si on a besoin d’approcher la mort de si près juste pour crier au secours, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas quelque part. Soit on n’a pas crié assez fort au départ, soit les gens autour de soi sont sourds, bêtes et aveugles. Ce qui me laisse penser que ce n’est pas qu’un cri pour appeler au secours, mais plutôt un cri à prendre au sérieux. Un cri pour dire : » Je souffre tellement que, pour une fois, le monde doit s’arrêter de tourner pour moi. » La question c’est : et après, qu’est-ce qu’on fait ? Le monde s’arrête et vous regarde, étendu là avec vos blessures pansées ou votre estomac vidé, et vous dit : – Allez-y, je vous écoute.
La plupart des gens ne savent pas quoi faire de ce moment s’ils y ont droit. Autant dire que ça ne vaut vraiment pas le coup d’aller jusque-là. Surtout si cette tentative ratée réussit sans faire exprès.
Et un énorme big up pour ce chapitre 122 – Histoire de la folie qui m’a tellement, mais tellement plu et qui résume vraiment bien mes pensées !
Si on y réfléchit dans une perspective historique, on voit bien que la façon dont le grand public perçoit les désordres de la chimie du cerveau a été aussi variée et bizarre que ses symptômes eux-mêmes.
Si j’étais né Amérindien à une autre époque, on aurait pu louer mes talents de guérisseur. Mes voix auraient été perçues comme celles d’ancêtres me faisant part de leur sagesse. J’aurais eu droit à de nombreux égards mystiques.
Si j’avais vécu dans les temps bibliques, on aurait pu me considérer comme un prophète, parce que, regardons les choses en face, il n’y a que deux possibilités : soit les prophètes entendaient vraiment Dieu leur parler, soit c’étaient des malades mentaux. Je suis sûr que si un prophète ou une prophétesse faisait son apparition aujourd’hui, on lui ferait un bon paquet d’injections d’Haldol, jusqu’à ce que le ciel s’ouvre et que les médecins se prennent une baffe dont ils se souviendraient de la main de Dieu.
Au Moyen Âge, mes parents auraient fait appel à un exorciste parce que j’aurais manifestement été possédé par des esprits malins, peut-être même par le diable en personne.
Et si j’avais vécu dans l’Angleterre de Dickens, on m’aurait jeté à Bedlam, qui n’est pas qu’une façon imagée d’évoquer la folie. C’est un endroit qui a existé – un « asile de fous » où les malades étaient emprisonnés dans des conditions inconcevables.
Vivre au vingt et unième siècle me garantit un bien meilleur pronostic de traitement, mais, parfois, j’aimerais vivre dans une époque d’avant la technologie. Je préférerais que tout le monde me voie comme un prophète plutôt que comme un pauvre malade comme les autres.